La douleur
chronique est très fréquente chez les personnes âgées et ses conséquences
sont souvent graves. Plusieurs études ont montré que la douleur est dans bien
des cas insuffisamment contrôlée chez les personnes âgées parce qu’elles ont
tendance à banaliser la douleur, mais aussi parce que le personnel soignant
sous-estime leur douleur. Tous les antalgiques sont utilisables chez la
personne âgée à la condition de commencer à de faibles doses en tenant compte
de la fonction rénale et de la malnutrition et de titrer ensuite
l’augmentation des doses selon l’effet antalgique obtenu et les effets
secondaires. Certaines autres particularités de la prise en charge de la
douleur chronique chez les patients âgés seront décrites dans l’article.
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introduction
Les
personnes âgées représentent environ 15% de la population suisse et sont le
sous-groupe dont la croissance est la plus forte. La prévalence des douleurs
chroniques est de 25 à 50% pour les personnes âgées vivant chez elles, et
peut atteindre 80% pour celles vivant en institution.1,2
L'appareil locomoteur est particulièrement touché, mais les maladies
cardiovasculaires, cancéreuses et neurologiques provoquent aussi souvent des
douleurs. Par ailleurs, une douleur chronique a souvent un impact plus grand
sur le fonctionnement physique et psycho-social chez la personne âgée.3 Malgré
cette prévalence élevée et la gravité des conséquences, peu d'articles sont
publiés sur la douleur et la personne âgée. En effet, sur 4000 articles
traitant de la douleur recensés chaque année dans Medline®,
seulement 1% concerne la personne âgée.4
Plusieurs
auteurs ont démontré que les patients âgés sont souvent insuffisamment
traités par rapport à l'intensité des douleurs qu'ils présentent.5,6 Les
préjugés sont probablement la cause principale d'une analgésie insuffisante
dans la population. Les personnes âgées négligent souvent leur douleur, car
elles la considèrent comme un fait inéluctable survenant avec l'avance en
âge. De plus, les soignants (infirmiers, paramédicaux et médecins)
identifient mal les plaintes douloureuses, souvent en raison d'une formation
insuffisante sur l'évaluation de la douleur et sa prise en charge chez la
personne âgée.
principes
de base de l'antalgie médicamenteuse
Ils sont
les mêmes que chez les patients jeunes : préciser les causes de la douleur,
les mécanismes impliqués (douleur nociceptive-neurogène), évaluer l'intensité
de la douleur, fixer les objectifs et déterminer un «programme» thérapeutique
si possible avec un seul médecin prescripteur.7 L'objectif
ne peut malheureusement que rarement être la suppression totale de la
douleur, mais doit être fixé conjointement avec le patient selon les critères
«SMART» par exemple (tableau 1). Une évaluation de la douleur doit être
faite de façon systématique chez tous les patients âgés vu la prévalence
élevée de la douleur dans cette catégorie d'âge. Toutes les échelles
d'auto-évaluation de la douleur peuvent être utilisées (échelle visuelle
analogique, verbale, numérique ou faciale), à la condition de prendre le
temps d'expliquer son fonctionnement au patient et de choisir celle qui est
adaptée aux éventuels troubles d'audition ou de la vue qu'il présente (tableau
2).
quelques
particularités du patient âgé
L'impact
physique et psychosocial de la douleur chronique
Le
retentissement de douleurs chroniques peut vite être catastrophique pour le
malade âgé, qui, dans 60% des cas, ne pourra pas effectuer seul les actes de
la vie quotidienne, et qui peut présenter des troubles du sommeil, de
l'appétit, des chutes, des difficultés de mobilisation.8,9 La
dépression est souvent associée à la douleur. En effet, la douleur implique
chez une personne âgée dans de nombreux cas des changements et pertes
(physiques, psychiques, affectives, sociales), nécessitant une prise en
charge globale avec une mise en contexte des traitements médicamenteux.10
Propriétés
pharmacologiques
La
pharmacocinétique médicamenteuse est modifiée par l'avance en âge. Ainsi, le
volume de distribution des médicaments hydrosolubles et liposolubles est
modifié et les débits cardiaque, hépatique et rénal diminuent. La malnutrition
a divers effets sur la pharmacocinétique : elle peut s'accompagner d'un petit
poids corporel avec risque de surdosage à dose standard par modification du
volume de distribution total, d'une altération de la phase de distribution en
raison des changements proportionnels des différents compartiments du corps
(par exemple diminution du volume du tissu adipeux et médicaments lipophiles)
et finalement d'une hypoalbuminémie. L'introduction d'un médicament fortement
lié à l'albumine (par exemple, acide acétylsalicylique, bromazépam,
buprénorphine) en présence d'autres médicaments peut alors conduire, surtout
en début de traitement, à une concentration élevée de la fraction libre
active du médicament, si la posologie habituelle du médicament est prescrite.
Ainsi, les
patients âgés sont sujets à des grandes variations interindividuelles de
distribution et de métabolisme des médicaments. Ils sont à risque d'accumuler
les médicaments et d'avoir plus d'interactions médicamenteuses. La
créatininémie étant un mauvais reflet de la fonction rénale chez les
personnes âgées dont la masse musculaire est diminuée, il est recommandé
d'utiliser la formule de Cockroft pour estimer la clairance de la créatinine.
Les doses de médicaments éliminés par le rein ayant une marge thérapeutique
étroite doivent être adaptées.11
Les
comorbidités et la polypharmacie
La
polypathologie fréquente avec l'avance en âge entraîne une polymédication et
la prescription d'un traitement antalgique peut être une bonne occasion de
revoir l'ensemble des traitements prescrits et de bien étudier le risque
d'interactions.12 Vu le risque élevé d'interactions
médicamenteuses, il convient d'éviter les prodrogues comme la codéine,
d'ajuster les posologies, et d'être attentif aux effets secondaires additifs,
comme la somnolence, les états confusionnels ou le syndrome sérotoninergique.
Un patient âgé qui prend six médicaments a quatorze fois plus de risques de
faire un effet secondaire qu'une personne jeune avec le même nombre de
médicaments.13
La
non-observance médicamenteuse
Elle
existe à tout âge, mais la plurimédication est un facteur de risque important
pour une mauvaise adhésion thérapeutique. Par ailleurs, les patients âgés ont
souvent de nombreuses représentations sur les opiacés comme la peur de perdre
le contrôle, l'impression d'avoir atteint le dernier recours, l'association
de la morphine à la mort imminente et finalement la peur de la toxicomanie.
Il vaut la peine d'expliciter avec le patient ses priorités, de l'informer,
de l'impliquer dans la conduite du traitement et de reformuler ses craintes.
La «non-compliance» peut aussi être due à des problèmes pratiques quotidiens.
Par exemple, certains traitements antalgiques, qui doivent être pris toutes
les huit heures, ne sont pas compatibles avec le semainier classique du
patient. Un deuxième semainier est souvent nécessaire ou une adaptation des
voies d'administration.
Les
troubles cognitifs
La démence
est une pathologie fréquente chez la personne âgée. Dans une étude de
prévalence faite à Genève, 2,7% des personnes âgées de 65 et 69 ans et 3,6%
de celles âgées de 75 à 79 ans sont atteintes de démence. Par la suite, le
risque de développer une démence double tous les cinq ans pour atteindre 25%
à plus de 90 ans.14 Plusieurs études
ont également montré que les troubles cognitifs sont comme l'âge, un facteur
de risque indépendant pour recevoir un traitement antalgique inadéquat par
rapport à l'intensité des douleurs présentées. Vu les troubles mnésiques et
la désorientation temporo-spatiale, l'évaluation de la douleur est plus
difficile chez les patients atteints de démence. Différentes échelles
d'hétéro-évaluation de la douleur ont été validées chez les patients atteints
de démence au cours de ces dernières années, néanmoins, il faut se rappeler que
ces échelles doivent être réservées aux patients atteints de démence sévère
ne pouvant pas communiquer. En effet, nous avons montré que plus de 90% des
patients atteints de démence (légère (n = 64), modérée (n = 81) et sévère (n
= 15)) étaient capables d'utiliser une échelle d'auto-évaluation (échelle
verbale, visuelle analogique verticale et horizontale et échelle faciale) de
façon fiable et reproductible.15 Par ailleurs, il
faut se rappeler qu'une douleur peut se manifester chez un patient peu ou non
communiquant uniquement par des troubles du comportement par exemple.
les
traitements antalgiques médicamenteux
Pratiquement
tous les antalgiques sont utilisables chez la personne âgée, si l'on respecte
les règles de prudence d'adaptation des traitements en tenant compte de la
fonction hépatique, rénale et de la malnutrition.16,17
Les
non-opiacés ou médicaments du premier palier de l'échelle de l'OMS sont les
traitements de première ligne pour les douleurs légères à modérées. Le
paracétamol est le traitement de premier choix en raison de son profil
relativement sûr chez les patients âgés. Malgré le fait que les AINS puissent
être extrêmement utiles dans certaines situations (arthrite, douleurs
osseuses sur métastases par exemple), il faut être prudent lors de leur
administration chez les personnes âgées, en particulier chez les patients
diabétiques, hypertendus ou avec une insuffisance cardiaque. Les AINS de
courte demi-vie sont préférables (ibuprofène ou diclofénac par exemple) et
doivent être prescrits sur une courte période. Il faut être particulièrement
attentif aux effets secondaires classiques (insuffisance rénale, toxicité
gastrique), mais aussi penser à la décompensation cardiaque, à l'hypertension
ou à l'état confusionnel.
La plupart
des opiacés peuvent être utilisés à la condition d'être instaurés à faibles
doses initiales, qui seront ensuite rapidement titrés sous contrôle de
l'effet analgésique et des effets indésirables. Pour des douleurs modérées
surtout non cancéreuses, des opiacés dits «faibles» du 2e palier
comme le tramadol, la dihydrocodéine ou la codéine peuvent être utiles. Les
médicaments combinés (opiacés associés au paracétamol) sont à éviter, à cause
du risque de surdosage au paracétamol fréquemment décrit. Plusieurs études
ont montré la «sous-utilisation» des antalgiques du 3e palier chez
les patients âgés. Parmi ceux-ci, la morphine, en raison des différentes
formes galéniques et voies d'administration à disposition et de sa courte
demi-vie, reste l'opiacé de référence pour les douleurs modérées à sévères.
La voie orale doit être privilégiée. L'idéal pour débuter est d'effectuer une
titration de la posologie avec une forme immédiate avant d'avoir recours à
une forme prolongée. Il est fortement conseillé d'initier le traitement avec
2,5 mg (en présence d'une insuffisance rénale modérée) ou 5 mg (chez le sujet
âgé en bon état général) de solution de morphine toutes les quatre heures et
de toujours prévoir des doses de réserve en cas de douleurs incidentes
prévisibles (mobilisation par exemple) ou non.
Les effets
secondaires des opiacés, identiques à ceux décrits dans la population adulte
(nausées, somnolence, constipation, globe urinaire...) doivent être bien sûr
traités, mais aussi anticipés. La constipation, déjà très fréquente dans cette
catégorie d'âge, doit être traitée de façon active et continue. Les effets
neurotoxiques des opiacés doivent être dépistés (myoclonies, hallucinations,
état confusionnel) à l'aide d'une anamnèse détaillée et d'un test de
dépistage des troubles cognitifs comme le Mini Mental Status Examination de
Folstein. En cas d'apparition d'un état confusionnel, si le patient est
adéquatement hydraté, une rotation d'opiacés est souvent indiquée. Il faut
néanmoins se rappeler qu'une douleur mal contrôlée peut également rendre les
patients confus et éviter les associations avec des substances sédatives
comme les benzodiazépines. Le passage d'un opiacé à un autre impose une
connaissance de la pharmacologie de la substance et le respect des doses
équianalgésiques7 (tableau 3). L'hydromorphone,
plus puissante que la morphine, mais avec une efficacité et un profil de
sécurité très proches de la morphine, disponible sous forme à libération
immédiate et retard, est une bonne alternative si une rotation d'opiacés est
nécessaire. Si l'on désire employer du fentanyl percutané, il est recommandé
de procéder à une titration avec un opioïde à brève durée d'action et de
suivre le patient de près après l'administration percutanée de fentanyl. En
effet, la cinétique de ce médicament peut être modifiée par les changements
de la composition corporelle d'eau et de graisse du tissu sous-cutané liés au
vieillissement. La méthadone doit être utilisée avec prudence en raison de sa
longue demi-vie et de ses interactions potentielles. Il convient également
d'éviter les opiacés ayant des métabolites actifs toxiques à longue demi-vie
comme la péthidine ou le propoxyphène. Si la clairance à la créatinine
calculée est inférieure à 30 ml/min, la buprénorphine dont le métabolisme est
principalement hépatique et qui n'a pas de métabolites actifs peut être
l'opiacé de choix.
les
traitements non médicamenteux
Vu les
retentissements des douleurs, la polypathologie et la polypharmacie, toutes
les mesures non médicamenteuses doivent être également utilisées, comme les
techniques de physiothérapie et d'ergothérapie, l'application de chaud ou
froid, la stimulation nerveuse transcutanée et des techniques de relaxation,
massages et autres médecines complémentaires. Certaines procédures
minimalement invasives effectuées par les anesthésistes peuvent aussi
soulager le patient. Le soutien psychologique des patients a souvent sa place
dans la prise en charge globale de la douleur.
En
conclusion, la douleur doit être dépistée et évaluée de façon systématique
chez toutes les personnes âgées et bien sûr soulagée. Tous les antalgiques
sont utilisables chez la personne âgée, si l'on respecte la règle principale
de commencer avec de faibles doses et d'augmenter les doses lentement, en
respectant la demi-vie du médicament, et en évaluant régulièrement la douleur
tout en s'assurant que les effets secondaires des médicaments soient bien
contrôlés. Il est également très important que les prescriptions
médicamenteuses soient intégrées dans une prise en charge globale comprenant
aussi un soutien psychosocial et des approches non médicamenteuses de
contrôle de la douleur.
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samedi 23 mars 2013
douleurs chez personne agé
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